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TF1 SÉRIES FILMS – VENDREDI 11 OCTOBRE À 22 H 35 – FILM D’ANIMATION
Les pages d’un livre de conte de fées écrit en lettres gothiques se tournent sous nos yeux. Celui-ci s’ouvre par la formule rituelle, « Il était une fois », puis continue par l’évocation d’une princesse à délivrer d’un méchant dragon. On se croirait chez Disney, lorsque ces studios appliquent scrupuleusement les règles élémentaires du conte de fées, de Blanche-Neige à La Belle au bois dormant.
Mais, dans Shrek, tout se détraque. La belle page du conte de fées se déchire. Elle est empoignée par Shrek, un ogre vert, qui s’en sert indélicatement pour se nettoyer les fesses, assis sur ses latrines. Nous ne sommes plus chez Disney, mais chez son concurrent DreamWorks (cofondé en 1994 par Steven Spielberg, Jeffrey Katzenberg et David Geffen), qui produit ici un conte de fées en miroir, dont les principes sont piétinés au profit du second degré et de l’ironie.
L’idée est celle d’un immense bazar de l’imaginaire, où cohabiteraient dans une réserve gigantesque les créatures créées par Perrault et les frères Grimm. Réalisé en images de synthèse, le film d’animation de Vicky Jenson et d’Andrew Adamson peut se comprendre comme une métaphore des ambitions de DreamWorks, désireux de s’emparer d’un univers momifié par Disney et auquel il va donner un second souffle.
Shrek n’est pas seulement un ogre pétomane et végétarien, il doit héberger sur ses terres Pinocchio, Blanche-Neige, les sept nains, le Petit Chaperon rouge, menacés d’exil par le cruel Lord Farquaad, un personnage sadique de la taille d’un nain, qui ne supporte plus ces créatures dans l’enceinte de son royaume.
Pour regagner la tranquillité et la jouissance exclusive de son marais, Shrek accepte la mission que lui confie Lord Farquaad. Il doit retrouver, accompagné d’un âne bavard et névrosé qui s’exprime dans le phrasé du ghetto – un détail particulièrement sensible dans la version originale du film, où l’animal est doublé par Eddie Murphy (Med Hondo dans la version française) –, Fiona, retenue prisonnière par un dragon, princesse qui rote et pratique le karaté. Une fois revenue au bercail, la jeune fille devra épouser Lord Farquaad, qui, enfin, deviendra roi.
Comme tout conte de fées, même perverti, Shrek possède son propre enfer. Le mal ne prend pas ici la forme d’un dragon ou d’un méchant sorcier mais s’incarne dans le royaume même de Lord Farquaad, sorte de Disneyland dont on retrouve d’ailleurs l’architecture et où vous êtes pris en photo à l’entrée et devez rire et applaudir au bon vouloir du maître des lieux.
Auréolé d’un succès triomphal aux Etats-Unis lors de sa sortie (un sixième opus est annoncé pour 2026), l’ogre vert, cynique et malicieux, sera convié à monter les marches du Festival de Cannes en 2001. Il sera le premier film à recevoir l’Oscar du meilleur film d’animation, catégorie créée en 2002.
Shrek définit un nouveau territoire de l’animation, au sens figuré par ses prouesses techniques, et au sens propre par cette manière de se délimiter un nouvel espace, sorte de réserve offerte aux personnages de contes de fées qui bénéficieraient d’une cure de jouvence. Un territoire dont la part maudite serait désormais le royaume magique de Disney.
Shrek, film d’animation d’Andrew Adamson et de Vicky Jenson (EU, 2001, 89 min).
Samuel Blumenfeld
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